En prévision de la rétrospective Dali prévue prochainement à Beaubourg (Centre georges Pompidou), Christian Monjou intervenait dans le cadre des conférences « l’heure de l’art » proposées aux salariés d’Orange. Grand conférencier, Monjou a une capacité à nous faire voir ce qui ne saute pas aux yeux et à trouver dans l’œuvre du peintre les messages les plus contemporains. Dali n’est pas mort, il n’a même probablement jamais été aussi actuel.
Ne crois pas ce qu'on veut te faire voir. Regarde par toi-même et décode !
Prenez n’importe quelle toile de Dali. Elle exprime toujours au moins 2 choses, souvent même contradictoires. Face au « Grand Paranoïaque » (1936) , par exemple, vous ne pouvez échapper à une sorte de malaise.
D’un côté vous voyez cette procession d’hommes et de femmes surgissant du désert que montre ostensiblement le peintre et de l’autre vous percevez, plus que vous ne le voyez, ces visages géants et tourmentés que composent de manière répétitif quelques grappes humaines. On le sait, Dali excelle dans l’anamorphose et prend un malin plaisir à jouer avec le spectateur, mais au-delà du jeu, Dali parvient nous adresse un avertissement. Celui de ne jamais prendre pour argent comptant ce que l’apparence nous montre. Aucune image, aucun texte n’a jamais qu’un seul visage, qu’un seul sens, qu’une seule vérité. Lorsqu’un media, un politique, une marque s’adresse à nous, mieux vaut d’abord chercher à décoder son message. Il y a ce que l’émetteur nous livre et veut que nous percevons mais il y a en même temps ce qu’il nous tait. Les deux éléments composent un même discours. S’en tenir à la partie émergée de l’iceberg revient à omettre une part importante du message. Quand il y a tout juste un an, Xavier Niel lance son forfait à 2€ et traite tous les abonnés mobiles de pigeon, quel est son message ? Que les opérateurs historiques ont gagné trop d’argent sur le dos de leurs clients. Probablement. Mais ne cherche-t-il pas aussi à dissimuler le fait que lui-même et son entreprise sont là pour gagner de l’argent et obtenir leur part du gâteau ! Quand le gouvernement actuel engage la loi sur le mariage gay, ce n’est pas seulement pour tenir une promesse de campagne. C’est aussi (et peut-être avant tout) pour mobiliser le peuple de gauche et resserrer les rangs dans un moment de purge économique où la désillusion gagne l’opinion et l’autorité de l’Etat se trouve affaiblie.
Ne respecte rien et tu seras respecté !
L’autre message, s’adresse à tous ceux qui entreprennent et plus encore dans un monde en mutation comme le nôtre. Les positions acquises n’existent pas. Et les succès d’hier ne conduisent pas aux succès de demain. Pour Dali, alors jeune artiste, les chefs d’œuvre absolus de la peinture était « l’angélus » de Millet et « la Dentellière » de Vermeer.
Il savait pertinemment qu’avec toute la technique dont il était capable il n’arriverait jamais à faire mieux, tout au plus à faire aussi bien. Et dans le cas improbable où il parvenait à faire aussi bien, il ne serait jamais reconnu comme un grand peintre pour la bonne et simple raison que ce n’était pas original. Il aurait pu peindre autre chose et s’éloigner de ces chefs d’œuvre classiques. Au contraire, pour être reconnu à son tour, il s’est contraint à les reprendre et à les transgresser. Il a pris le risque de les contester pour imposer son œuvre. L’art de Dali est avant tout subversif.
Mais au fond, toute création l’est aussi. Y compris dans le domaine économique. Quand Steve Jobs a lancé Apple dans les années 80, c’était pour s’opposer à la référence absolue qu’incarnait IBM sur le marché de l’informatique et en imposer une autre : la sienne. Lui aussi a agi dans un esprit subversif et irrespectueux. Plus tard en lançant l’ipod et réinventant le modèle économique de la musique numérique, il est parti de l’existant mais a créé sa voie en transgressant les règles en place. En faisant cela, il a ouvert une voie nouvelle qui fait référence aujourd’hui. Les grands entrepreneurs, comme les grands artistes, sont non seulement des visionnaires mais aussi d'irrespectueux provocateurs (et des paranoïaques obsessionnels, parfois !).
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